• Brico dingo

    Au carrefour du loisir et de l'utilité se situe le bricolage. Qui dit loisir ne dit pas forcément détente : la preuve du contraire saute aux yeux sur les routes, tous les dimanches. Mais le bricolage entraîne indiscutablement une détente et il est intéressant de déterminer pour quelles raisons.
    Chez les intellectuels, parce qu'il prend figure de travail manuel et contraste ainsi avec leurs occupations habituel-les.
    Chez les manuels, parce que l'ouvrier, qui ne fabrique bien souvent qu'une seule partie d'un tout, trouve dans le bri-colage l'occasion de faire un ensemble, et surtout parce qu'il travaille sans patron.


    A ces constatations d'ordre sociologique s'ajoute une notion psycho-physiologique.
    De même que le rêve, pendant lequel les circuits électriques du cerveau promènent des électrons en liberté un peu partout, est l'essentiel du repos dans le sommeil, le bricolage nous procure le repos à l'état de veille en faisant fonc-tionner en nous toute une série de circuits cérébraux que nous utilisons très peu et en permettant ainsi au cerveau de se dépolariser, de s'équilibrer.
    Je voudrais que les psychologues élucident la question de savoir s'il n'y a pas beaucoup plus de équilibrés chez ceux qui bricolent que chez les autres. Je parierais que oui, pour ma part.


    Vous vous souvenez qu'un humoriste se demandait si c'était le cerveau qui avait obligé la main à se développer ou bien l'inverse. Eh bien, si l'on affirme aujourd'hui que la main a contraint le cerveau à se développer, les effets du bricolage n'y sont peut-être pas étrangers.
    Le bricolage nous oblige à nous battre avec le réel et nous enseigne ainsi une sorte de modestie, car on s'aperçoit, en bricolant, qu'il est beaucoup plus difficile qu'on le croit de réaliser quelque chose avec ses mains. Cette constatation vient tempérer les idées orgueilleuses des adolescents qui n'ont fait qu'étudier dans les livres.
    Beaucoup plus de gens seraient aptes à comprendre le réel s'ils étaient déniaisés par ces travaux.
    Dans les tests qu'elles font passer pour leurs embauchages, de grandes sociétés questionnent les candidats sur ce qu'on appelle les 35 hobbies et elles prétendent qu'elles en déduisent bien des indices intéressants sur la personnalité de l'individu. A cet égard, le bricolage est considéré comme l'un des tests les plus instructifs.
    Le bricolage est tonique parce qu'il reçoit dans la vie familiale la sanction de compliments dont l'être humain a tout autant besoin que le cheval de tapes sur l'encolure. Sans eux il se débilite.


    Entre une femme qui peine, dans sa cuisine, à fricoter un civet pour son mari et celle qui se borne à ouvrir pour lui les meilleures boîtes de conserve, on peut désigner sans peine celle qui détient les meilleures chances de s'attirer des compliments.
    La maîtresse de maison en a d'autant plus besoin qu'ils contribuent à rétablir un équilibre compromis par les appareils ménagers. Une enquête faite en Grande-Bretagne a montré que plus une femme avait à sa disposition d'auxiliaires mécaniques, électriques, etc., plus elle devait prendre de pilules pour dormir.
    Pour l'homme, le bricolage est une mine inépuisable de compliments car il lui permet de faire chez lui quantité de petits travaux pour lesquels sa femme ne trouve plus aucune main-d'œuvre ailleurs.
    Le bricolage est une distraction active, et j'insisterai sur ce point, voici pourquoi.


    Dans la civilisation de l'abondance et de la réduction du travail physique - où l'Amérique s'est installée et où les autres pays cherchent à s'introduire - les adolescents sont environnés par un monde dans lequel l'effort est devenu beau-coup moins apparent qu'autrefois. Il était, pour ainsi dire, la langue maternelle de toutes les générations qui ont précédé la leur, et cette langue, ils ne l'apprennent évidemment plus quand ils voient une machine à laver le linge à la place de leur mère.
    Les distractions mêmes de la jeunesse sont, pour une grande part, devenues passives : naguère, par exemple, si un enfant voulait se familiariser avec la musique, le meilleur moyen d'y parvenir était d'apprendre à jouer lui-même d'un instrument, c'est-à-dire de faire quelque chose d'actif, tandis qu'à présent il lui suffit de demander à son père d'acheter un électrophone et les disques qu'il souhaite entendre.
    Le bricolage est, à cet égard, pour la jeunesse un excellent antidote contre les méfaits de l'inactivité.


    Louis ARMAND, " Bienfaits du bricolage ", Simples propos, 1968.


  • Commentaires

    1
    Jean-Louis
    Mardi 6 Novembre 2007 à 19:46
    Bricolage et cuisine
    Marrant ce texte qui date de 68. Le bricolage peut constituer une seconde chance pour nos copines, et pour nous, nous prédisposer à bien faire la cuisine.
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